BNF (l’Atelier du livre du 6 Décembre 2011) 

L’HISTOIRE DES BIBLIOTHEQUES :
LES PUBLICS du XVI siècle à nos jours

 

Ouverture par Jacqueline Sanson, directrice générale de la BnF

Cette journée est organisée par l’ENSSIB (Ecole nationale supérieure des Sciences de l’Information et des Bibliothèques).  Elle est le fruit d’une réflexion menée par la BnF, l’Ecole des chartes et l’ENSSIB dans le cadre d’un comité d’histoire qui s’est tenu à la BnF et dont la conclusion se résumerait ainsi : pas de public pas de bibliothèque !

Introduction par Dominique Varry, Université de Lyon-ENSSIB

Avant le 19è siècle, les études sur le public des bibliothèques sont très difficiles parce qu’entourées de mystères car toute bibliothèque est obligatoirement privée.

Elles sont néanmoins plus ou moins obligées de s’ouvrir aux commis de l’Etat et aux administrations.

On trouve quelques documents dans l’Italie du 15è siècle mais c’est à partir du 17è siècle qu’on trouve des témoins comme un premier Abrégé des bibliothèques mondiales puis un Plaidoyer pour l’ouverture de la bibliothèque d’un grand seigneur au public (Prince de Crouy).

Ouvrir sa bibliothèque permet alors d’accéder à la notoriété mondiale et on le fait quelques heures voir plusieurs jours dans la semaine. Cette ouverture est essentiellement en direction d’un public de grands personnages, de riches nobles et bourgeois qui font « le grand tour » à travers l’Europe, de scientifiques et bibliothécaires en formation puis enfin de simples curieux qui peuvent voyager. Les visites sont encouragées par des Traités : Le Gallois, Traité des plus belles bibliothèques de l’Europe (ouvertes ou entrouvertes pour les Beaux Esprits).

Dès cette époque, les potentats italiens se taillent la part du lion (ex. La Laurentienne à Florence avec 4700 visiteurs, le Comte de Caylus avouant 17 visites pour l’année 1714.

On visite plutôt au printemps et en automne (on évite le froid et les grosses chaleurs), on vient voir la monumentalité des bibliothèques (Bibliothèque=Monument), on s’intéresse aux documents précieux et aux manuscrits (la bibliothèque Musée masque la bibliothèque Lecteurs).  A partir du 18è siècle certaines bibliothèques sont en libre accès et c’est grâce aux publications des premiers registres de prêts par les bibliothèques allemandes qu’on peut enfin avoir une idée plus juste du nombre des emprunteurs à distinguer des visiteurs qui viennent  pour des remises de décorations diverses et admirer des manuscrits.

Thème de la matinée : De la bibliothèque des savants à la bibliothèque publique

                                 Séance présidée par Annie Charon, Ecole nationale des chartes

Trois interventions  qui vont développer le passage de la bibliothèque réservée aux hommes de pouvoir et de savoir à un plus large public, l'idée humaniste d'un lieu de savoir ouvert à tous.

1.Publicae utilitati : princes, savants et bibliothèques entre Humanisme et Contre-réforme

      Par Raphaële Mouren, Université de Lyon-ENSSIB / Centre Guillaume Budé

On publie des catalogues afin que le public puisse prendre connaissance des ouvrages, on vient y fréquenter les classiques et les hommes de lettres, c'est un lieu dédié aux érudits  et à tous ceux qui veulent s'inscrire.

La bibliothèque Saint Marc de Venise conçue à l'origine pour sauvegarder les manuscrits grecs, installera des livres un siècle plus tard pour un plus large public. La bibliothèque privée des  Médicis sera ouverte au public en 1571. Il faut noter le rôle fondamental de l'imprimerie pour mettre les manuscrits à la portée de tous et donc souligner le lien très fort entre ouverture au public et publications des manuscrits.

2.Les bibliothèques des Amis de l'Instruction : combats et désillusions (1861-1914)

     Par Agnès Sandras, conservateur, BnF

La bibliothèque des Amis de l'Instruction de  Paris, située rue des Archives dans le 3è arrondissement est la bibliothèque fondatrice suivie par la bibliothèque d'Epernay où se trouvaient les ateliers des réseaux de chemin de fer des pays de l'Est. Elle est créée  sous l'égide de Jean-Baptiste Girard, ouvrier typographe qui proposait la lecture aux ouvriers des ateliers : l'instruction et le divertissement étant pour lui non des facteurs de sédition mais de paix. Cet argument sera repris par Auguste Perdonnet (savant, ingénieur, pédagogue, directeur de l'Ecole Centrale des Arts et Manufactures) qui participe à l'âge de 29 ans à la fondation de l'Association polytechnique  dont l'objectif est de concourir à l'instruction du peuple. Il y donne de nombreuses conférences et publie en 1867 « De l'utilité de l'instruction pour le peuple ») et il appuiera de toute sa notoriété pour empêcher la fermeture de la bibliothèque d'Epernay jugée dangereuse par le pouvoir.

Les sociétaires puis les instituteurs participent à vie de la bibliothèque puis  au choix des ouvrages.  Le lecteur reçoit les statuts mais également le catalogue. Non seulement on peut emprunter mais nouveauté, on peut y lire sur place (poêle à charbon....). La bibliothèque est ouverte le soir et le dimanche pour permettre aux ouvriers d'y venir.  Apparaît le souci de s'adapter aux contraintes des lecteurs. Le public est composé à 50 % d'ouvriers et 50% d'enseignants, de vignerons et d'artisans. Une littérature de distraction est de plus en plus demandée et non plus seulement des ouvrages scientifiques.

Enfin, avec les bibliothèques des Amis de l'Instruction on passe non seulement des milieux savants aux milieux ouvriers mais on assiste enfin à une organisation nationale.

 

  1. La lecture publique en débat (1918-1945)

Par Hind Bouchareb, chartiste, ENSSIB.

Après la guerre, on assiste à la naissance d’un  mouvement dit  moderniste  fondé sur un idéal humaniste (l’homme doit chercher en permanence à développer son intelligence)  et une éthique de paix qui ne peuvent qu’entraîner progrès moral et intelligence des populations.  

Ce mouvement demande la modernisation des bibliothèques  populaires : elles doivent être ouvertes à tous, d’accès facile, d’horaires  adaptés et on demande la bibliothèque circulante ! Mais des oppositions subsistent  entre bibliothécaires : pour les uns l’idéal moderniste consiste à enseigner et à instruire et pour les autres, à divertir.

Début 1930 la bibliothèque nationale est en libre accès, le prêt y est généralisé, les catalogues améliorés et l’amplitude est de 345 jours par an.

1936 marque une nouvelle étape dans la lecture populaire. On défend l’idée de la bibliothèque lieu de rencontre entre toutes les classes sociales et on cherche à organiser les loisirs.  La BN est mise en cause (Eric et Georgette de Groé). On trouve maintenant dans les bibliothèques non seulement des savants, des enseignants mais également des représentants de syndicats et des libraires.

Après 1936 le loisir acquiert ses lettres de noblesse mais si la lecture peut être agréable, elle n’en doit pas moins rester subordonnée au noble documentaire ! Le roman est encore freiné.

Il faudra attendre 1945 et le Conseil National de la Résistance pour voir la création de la Direction des Bibliothèques et de la lecture publique et de bibliothèques départementales de prêts.

 L’idée d’une évolution de la lecture publique en un mouvement continu est enfin admise  et reconnue  par tous

Après-midi  consacré  « A la conquête du grand public »

Trois interventions, d’abord celle de  Marie Galvez, conservateur BNF « Accueillir le grand public à la BNF au 19° siècle : l’exemple de la salle B ou salle de lecture ouverte au tout-venant », puis celles de  Michel Melot  et Patrick Bazin en tant qu’ancien et actuel directeurs de la BPI « La BPI des origines/ la BPI aujourd’hui : dialogue » se penchent sur la notion de bibliothèque publique « ouverte au tout –venant ».

De 1868 à 1935,à la suite du rapport Mérimée (lui-même sous l’influence anglaise), la BNF auparavant réservée aux chercheurs ouvre une salle de lecture, la salle B qui s’adresse à un public de travailleurs (ouvriers et artisans) et  « d’honnêtes hommes » dans le but d’offrir des connaissances utiles et de favoriser les études (approfondissement des connaissances de métiers).l’accent est mis sur le sérieux, pour éviter un public de flâneurs, et dans un premier temps les romans sont même  interdits dans la salle publique.

Le public va progressivement détourner l’usage de départ : les chercheurs vont rapidement l’annexer, de même que la « jeunesse studieuse » et le public  visé va préférer vers  1914 les bibliothèques municipales qui pratiquent le prêt. Faute d’une orientation claire, d’un fonds et d’un catalogue remis à jour, dans un espace rétréci, la salle de lecture publique va fermer. L’idée sera reprise avec le haut de Jardin de la BNF et avec la création de la BPI.

La BPI se définit comme une bibliothèque non patrimoniale, « bibliothèque universitaire pour non-universitaires », en libre accès, pour un public de curieux,  bibliothèque d’information au sens des bibliothèques américaines. D’où une politique d’acquisition d’ouvrages sérieux mais pas  savants, de codes, annuaires etc..

Cette dimension d’information de base est maintenant obsolète, d’après Michel Melot,  car fournie par Google. Mais la BPI reste pleine en raison de la gratuité, de sa centralité dans paris et surtout de la surreprésentation des étudiants ( 60% en 1983).  Aujourd’hui, le problème est  formulé de la façon suivante : proposer autant de livres, mais surtout plus de places, car l’idée serait d’évoluer vers une forme de learning center (même si  mot n’est pas prononcé) avec un accueil très large en terme de places et d’horaires, en favorisant l’autodidaxie.

Patrick Bazin analyse ensuite les conséquences de la restructuration en 2000 qui rompait avec le modèle de 1977 , défini comme ouvert, faisant confiance au lecteur et soucieux de diversité. Le nouveau  modèle se rapproche d’une salle de lecture universitaire, en rupture avec l’animation du Centre Pompidou ( ouverture par l’ extérieur, critiquée d’ailleurs par les architectes concepteurs ).

Le modèle tourne mais pose  question : Le public a baissé (- 30% en 10 ans), il est composé pour 63% d’étudiants et 4/5% de lycéens ce qui pose la question de son identité de bibliothèque publique, de même que l’absence de fonds  patrimonial  qui intéresse le public, et l’absence de prêt.

L’orientation actuelle vise à re-diversifier le public ,

3. En prenant en compte les comportements cognitifs et corporels ( pour éviter la « monoculture » d’une bibliothèque d’étude), en faisant évoluer les espaces, les collections et l’accueil des publics ( Pas question de recréer un espace pour enfants, mais  volonté par ex.  de réfléchir à l’accueil des familles) et aussi en renouant avec le bâtiment avec un projet d’entrée par le 1° étage.

4. En imaginant la production de contenus intermédiaires (= fonction bibliographique) en plus des 400 000 documents à maintenir, en étant plus réactifs aux besoins des lecteurs, en concevant un web magazine

5. En rendant les espaces plus parlants avec des expositions dans la bibliothèque, portes d’entrée dans les collections (ex.  à venir : une expo conçue avec le dessinateur Spiegelmann)

 L’intervention suivante «  Nouveaux temps, nouveaux concepts : la bibliothèque « 3° lieu » est présentée par Mathilde Servet à partir de son mémoire de l’Enssib.

Analyse du concept de « 3° lieu »  puis présentation powerpt très enthousiaste et a-critique de ces nouveaux espaces dans des bibliothèques hollandaises et anglaises,

Le concept est créé par un sociologue urbain en 1980 et doit permettre la création d’une vie communautaire informelle dans une ville morcelée. ( le 1° lieu étant la famille, le 2° le travail)

Son symbole est le café, matrice idéale de l’agora moderne. La bibliothèque est déjà définie comme un lieu neutre, niveleur social, familier, public et gratuit. Elle doit développer son rôle de « 3° lieu culturel » par      
* une désacralisation de l’espace (humour, meubles-détente, espaces-loisirs)                                                
*  Le zoning : partition des espaces en fonction des usages avec pour première offre un lieu et le café

La bibliothèque 3° lieu est vue comme un mode d’approche « horizontal «  de la culture, une illustration de « l’infotainment », allant même jusqu’à une intégration dans un centre social et médical dans un quartier déshérité en Angleterre.

Une dernière table ronde pose le problème « Du grand public, utopie ou réalité ? «  confrontant expérience de la BNF, de bibliothèques municipales, d’un sociologue et d’un inspecteur des bilbiothèques.

On voit donc  qu’un type de bibliothèque anglo-saxon tend à devenir un modèle, et à remettre en cause le fonctionnement des bibliothèques publiques  qui s’interrogent sur l’élargissement ou le maintien d’un lectorat « tout venant « ( par opposition aux « catégories les plus fréquentantes » cad scolaires et étudiants) et aussi sur les nouvelles pratiques des lecteurs, ce point ayant été moins traité.

On voit aussi  que des éléments qui vont au bout d’une certaine logique de la bibliothèque publique : « lieu de vie », «  learning center », « zoning des espaces », sont  aujourd’hui  plaqués de façon plus ou moins pertinente et plus ou moins réaliste sur les CDI dans le discours  actuel sur les « learning centers » .